Le refrain de l'internationalisme

Soumis par Hayan Sidaoui le jeu 19/09/2019 - 20:31

Rubrique

Jeune étudiant en architecture j’ai accompagné mes parents en 1986 à l’ambassade d’Irak dans le 16 ème arrondissement parisien à l’occasion de la fête nationale irakienne, tout le gratin politique et autres personnalités publiques étaient présentes, Chirac en tête alors qu’il était maire de Paris !

Le hasard m’avait placé sur une table entre Serge Dassault, encore vice président de son père à l’époque, et un sculpteur d’âge assez avancé dont je m’en veux d’en avoir oublié les nom, un vieux monsieur mais en pleine forme, joviale et le regard espiègle.
De fil en aiguille Serge Dassault entame la conversation avec moi -« Que faites vous jeune homme »? Je lui indique que je suis étudiant en 4 ème année d’architecture !

C’est alors que Mr Dassault junior se lance dans un cours d’économie contemporaine en m’expliquant ceci : « de nos jours en Occident gagner le smic ou 5 fois le smic c’est du pareil au même dans le sens où les fins des mois demeurent difficiles; quand on gagne le smic on est célibataire, on habite un studio, on se déplace en métro ou en bus, on mange des surgelés pas cher ..., quand on gagne le double du smic, on loue un deux pièces, on achète une petite voiture, on a une petite fiancée à plein temps et on mange mieux..., quand on gagne plus encore, on loue un 3-4 pièces, on achète une plus grosse voiture, en rêvant déjà à la suivante plus tard qui serait encore plus grosse ou plus sportive, on va plus souvent au restaurant, il arrive même qu’on change de fiancée etc ... et ainsi de suite, toutefois dans tous les cas, à moins d’atteindre le salaire d’un grand patron, nous avons toujours les mêmes soucis en fin du mois au moment où les factures arrivent et le même syndrome de l’angoisse du banquier !

C’est alors que le vieux et malicieux sculpteur, assis à ma droite, pose sa main sur mon avant bras et me dis : « cela s’appelle l’uniformisation des sociétés capitalistes où si les conditions de vie changent selon les couches sociales on inflige à tout le monde les mêmes problèmes et c’est bien cela qui fait rouler le capitalisme »!
Détrompez-vous, Serge Dassault ne s’en plaignait pas, au contraire il en était satisfait, c’est le sculpteur qui s’en offensait alors que personnellement, jeune et ambitieux, je pensais bêtement déjà à la troisième voiture après avoir atteint le troisième échelon de salaire et à une belle femme plus belle que les deux précédentes, sachant qu’à l’époque avant la mauvaise réforme quand on est étudiant en architecture de second cycle on bosse dans des agences d’architecture avec des bons salaires ... n’est-ce pas cela aussi la jeunesse des sociétés occidentales où elle est prise en tenaille entre le système ambiant et l’éducation moraliste, dans le sens libre et digne, qu’elle recevait de la génération précédente, en ce qui concerne ma génération, celle où les parents ont été les acteurs de mai 1968 en France ou celle de l’été 1967 et le sursaut du panarabisme au Proche orient après la défaite de juin de la même année contre l’entite sioniste soutenue par l’Occident avec en prime un URSS pour le moins amorphe ?! Deux révolutions, comme beaucoup d’autres dans le monde, menées par des populations excédées et de bonne foi mais malheureusement systématiquement manipulées puis éteintes, il faut dire que le capitalisme sait comment veiller sur ses intérêts !

Cette « uniformisation » on l’appelle de nos jours « mondialisation », un nom qui en dit long et en même temps ne nous renseigne sur presque rien !

Si on refait le tour des dernières 12 ou 13 décennies remontant jusqu’à la révolution industrielle qui coïncide avec le début d’une mutation du capitalisme à l’ancienne vers un autre, non moins sauvage, mais plus pernicieux, plus démagogue et tout aussi sanguinaire que celui des premiers colons de la renaissance, qui porte si mal son nom car un beau tableau ou une belle sculpture ne représente en rien une renaissance si l’humanisme ne suit pas, où le mercantilisme laïc a remplacé l’opportunisme céleste ! Mais alors, si on y réfléchit bien qu’elle a été l’opposition à ce nouveau capitalisme ? Et faisait-elle le poids, si non, pourquoi ?

En réalité, l’emploi que l’Occident a fait de la révolution industrielle est pour le moins criminelle vis à vis d’autres peuples, de même que vis à vis de ses propres populations, massacres et esclavagisme de tout genre pour “l’indigène”, nivellement par le bas et injustice sociale pour les “locaux blancs” de manière à les maintenir sous tension avec leur colère de frustrés à cause de leur propre système toujours canalisée vers l’étranger, le différent, donc le “méchant” !

A l’orée du vingtième siècle la mondialisation était déjà en gestation, un petit embryon conçu par le couple capitalisme-colonialisme avec comme seule opposition ce que nous appelons en ruminant depuis Marx: “l’internationale socialiste” (ou communiste) qui, pour être clair, forme avec la mondialisation capitaliste l’autre face de la médaille de “l’uniformisation” des sociétés quoique dans un style différent et avec une méthodologie différente mais dans les deux cas il ne s’agit que de la même problématique! Dans les deux cas, il y a les profiteurs et les exploités, les idiots et les opportunistes, les faibles et les puissants, les honnêtes et les malhonnêtes , les traîtres et les fidèles etc...

Les deux systèmes, le recto comme le verso de la médaille du pouvoir, n’ont pour aboutissement que l’uniformisation des sociétés pour mieux les asservir, mieux les gérer, car gérer les peuples est le meilleur moyen pour gérer le pouvoir donc gérer les fortunes ou même des simples privilèges !

Je l’avais dit dans un précédent article que nous sommes à un virage de l’Histoire indépendamment de toute considération politique, idéologique ou patriotique, tout le monde est embarqué dans le même bateau depuis 130 ans même si on y trouve des première, des seconde et des troisième classes, la destination est toutefois la même pour tout le monde, comme pour les “fins du mois” de Serge Dasault!

À chaque crise majeure, à chaque guerre, à chaque massacre etc... on entend le discours des internationalistes de gauche revenir comme un refrain ! Ils me font penser à la musique dans un supermarché qu’on n’entend que quand tout le monde se tait!
Ces éternels révolutionnaires, 130 ans plus tard on ne sait toujours pas contre quoi au juste, me font aussi penser aux adolescents attardés qui ruminent leur jeunesse jusqu’à leur dernier soupir, car pour ruminer, les internationalistes de gauche savent ruminer, une vache en comparaison ferait mauvaise figure!

Ils adorent le “musée de l’Histoire” oubliant que l’Histoire est une évolution permanente comme un être vivant, elle mûrit, elle grandit, parfois elle trébuche, fait marche arrière mais pour enfin de compte mieux avancer ! Ce musée où dorment sous leurs yeux contemplatifs, nostalgiques et rêveurs les lauriers de Marx, Lenin, Staline, Mao, le Che, Castro... en se gardant bien d’oublier Pol Pot et le goulag, en effaçant de leur mémoire que c’est bien leurs faiblesses pour ne pas dire leur mauvaise foi, qui équivaut a une complicité, que le capitalisme dans sa forme la plus sauvage a fini par triompher sans qu’ils se remettent en cause pour autant, méthodologie et discours archaïques, déphasés avec notre époque et où l’idéologie devient une fin en soi, une religion en quelque sorte avec ses propres sacrements comme ses propres blasphèmes!

J’ai été nourri par le communisme au biberon, j’en avais déjà parlé, et je le suis toujours au fond de mon âme, comme on dit chez nous “on ne peut sortir de sa propre peau”, car à travers mon regretté père et aussi par conviction, le communisme est une seconde peau pour moi ce qui ne signifie pas pour autant que la nostalgie, pour ne pas dire la mélancolie, et l’immobilisme intellectuel devrait me figer dans le temps pendant que l’Histoire continue son chemin!

Ces idéologies d’un autre temps n’avaient-elles pas pour objectif le bien être de l’humain par le biais de la liberté et de la justice, faisant rempart autour de sa dignité et non pas le contraire où toute valeur humaine est mise sur la touche au service de ces mêmes idéologies, n’est-ce pas le monde à l’envers ?

Le monde change, il bascule, les systèmes issues de la révolution industrielle sont désormais dépassés et à bout de souffle, l’ère du despotisme capitaliste et à contrario celle des révolutions gauchisantes et interminables est révolue, nous en sommes à l’affirmation, plus que jamais, de la différence des cultures, de leurs spécificités, de leurs caractéristiques propres, du patriotisme mature et tolérant, en tout cas tel qu’il devrait être s’il veut survivre, où le dénominateur commun ou bien le liant entre ces différences serait les valeurs humaines les plus élémentaires, à commencer par le respect de celui qui est différent, qui en l’occurrence sont et devraient restées communes à tous les peuples, cela étant un réflexe humain cognitive pur et élémentaire, n’est-ce pas le message à la fois des prophètes monothéistes comme des grands révolutionnaires du vingtième siècle? Un siècle terminé depuis deux décennies déjà alors que nous continuerons à patauger dans les traînes de boue qu’il avait laissé !

Finalement, le sculpteur qui était assis à ma droite lors du dîner diplomatique de 1986, et dont je me souviens toujours de son sourire malicieux d’artiste, était quelques part un avant-gardiste, en partant en fin de dîner il m’avait laconiquement murmuré à l’oreille: “j’ai n’ai été que trop longtemps communiste, en tout cas à l’ancienne” !
Il mériterait comme trophée la médaille de l’uniformisation, avec ses deux faces, celle de la mondialisation capitaliste et celle de l’internationale socialiste, suspendue à son cou comme un souvenir d’une époque qu’il a su vaincre, du moins dans son for intérieur, un pionnier !

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