Le problème kurde - I

Soumis par Hayan Sidaoui le sam 27/01/2018 - 18:16

Rubrique

Le problème Kurde - (Première partie)

1- Origines

Avant de devenir au vingtième siècle un problème politique épineux, il convient de signaler avant de commencer mon analyse que les origines des kurdes sont d’abord un mystère non résolu.
Plusieurs théories ont été avancées à leur sujet sans qu’aucune d’entre elles ne soit démontrée de manière scientifique ou archéologique.

Contrairement aux idées reçues les kurdes ne forment pas un groupe ethnique homogène mais un ensemble de résidus de plusieurs civilisations qui à un moment ou un autre ont vécu ou ont colonisé le Proche Orient.
Leurs dialectes comme leurs traditions culturelles restent à ce jour très hétéroclites.
Des historiens avancent, sans preuves formelles, que l’origine de certaines de leurs tribus remonte au royaume Mittani (sud de l’actuelle Turquie) certains évoquent leur apparition à 2500 ans environ avant Jésus-Christ, d’autres à 1000 ans avant Jésus-Christ et d’autres encore à 500 ans avant Jésus-Christ. Ces dates ne sont donc que des déductions voire des suppositions que les archéologues n’ont pas réussi ni à confirmer ni à infirmer.

Les kurdes, du moins la majeure partie d’entre eux, sont apparentés chez les historiens perses et arabes aux tribus turco-moghols, tribus de guerriers originaires de l’actuelle Afghanistan et dont les empires, qui se sont succédé pendant deux millénaires de l’Afghanistan jusqu’en Perse et qui les utilisaient pour les enrôler dans leurs armées afin de mener à bien leurs conquêtes notamment vers l’ouest.
D’autres tribus turco-moghols venues en hordes de l’Asie centrale au début de l’ère chrétienne pour fuir les guerres et la famine se sont installées au nord de la montagne du Zagros situés au nord-ouest de l’actuel Iran et dans celle du Taurus au sud de l’actuelle Turquie mais étaient soumis aux pouvoirs régionaux en place à l’époque.

2-Rappel Historique

Dans la mémoire collective des arabes, les kurdes ne sont apparus en nombre important qu’au moyen âge, tout comme les tribus turques, d’abord des combattants mamelouks et séldjoukides enrôlés dans les armées des califes arabes notamment les califes de la dynastie Abbasside alors que la grande majorité n’est arrivée au Proche-Orient que dans le sillage de Tamerlan qui a envahi cette région au 14 ème siècle.

Cependant, une exception a marqué l’histoire du monde arabe au début du moyen âge où en 1170 un kurde issu d’une famille originaire de l’Arménie historique puis installé à Tikrit au nord de l’actuel Irak est devenu Calife en s’emparant du pouvoir d’abord en Égypte puis en Syrie alors qu’il n’était jusqu'alors qu’un officier de l’armée fatimide. 

À cette époque les kurdes ne formaient toujours pas de sociétés homogènes ou puissantes mais plutôt un ensemble de familles tribales dont chacune d’entre elles avait son propre chef  local et dont les membres de chaque tribu s’engageaient systématiquement dans les armées du pouvoir en place sans distinction jusqu’au jour où Saladin, militaire de carrière du Califat Fatimide (Chiite) au Caire, a renversé le Califat en place avec l’appui des sunnites du Levant et de l’Asie mineure.

Saladin installa donc une nouvelle dynastie celle des ayyoubides qui finira par disparaître à son tour en 1254.
Une fois cette parenthèse refermée Saladin est devenu un héros pour les arabes notamment après sa victoire sur les croisés et la libération de Jérusalem.

Ce qu’il faudrait retenir de cette parenthèse du califat « kurde » est que Saladin et ses successeurs n’ont pas gouverné en tant que « nationalistes » kurdes mais comme partie intégrante du monde arabe de l’époque, un monde arabe déjà « coloré » par son multi-culturalisme et par son multi-confessionnalisme même si la libération de Jérusalem a été accomplie au nom de l’Islam mais un Islam qui se battait contre un envahisseur et non pas contre la chrétienté d’autant plus que bon nombre des chrétiens du Levant le soutenaient dans son combat.

3- Le Kurdistan, mythe ou réalité ?

Difficile d‘évoquer le problème kurde au Proche-Orient indépendamment du contexte géopolitique global de cette région du monde.

Suite à l’affaiblissement de l’empire ottoman puis sa disparition, trois faits historiques ont façonné de manière déterminante le Moyen et Proche-Orient jusqu'à nos jours.

3-1- Le protocole des sages Sion

Ce protocole a été rédigé en 1901 par un membre de la police secrète russe en s’inspirant largement, pour ne pas dire en plagiant, le «dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu » de Maurice Joly qui n’est qu’un pamphlet satirique décrivant un plan de domination du monde par les juifs après l’anéantissement du christianisme.

Ce texte publié pour la première fois en 1905, puis rendu célèbre par le journal anglais le Times qui l’a publié en 1920, inspira à son tour aussi bien le sionisme que le nazisme. À cette époque, le sionisme était en plein développement sur le continent européen de l’est à l’ouest et se servit de ce protocole comme ébauche d’un projet d’état juif en Palestine encouragé par la fameuse « déclaration de Balfour » du 2 novembre 1917 promettant d’aider les juifs d’Europe à établir un état sur leur « terre promise » en l’occurrence la Palestine.
De même, le nazisme se servit de ce même protocole comme élément central de sa propagande officielle et dont, le massacre des juifs qui s’ensuivit, constitua un « atout » supplémentaire en vue de la fondation de l’état juif.

3-2- Les accords de Sykes/Picot

Suite à l’affaiblissement et à l’effondrement de l’empire ottoman, français et anglais signèrent le 16 mai 1916, dans le secret le plus total, des accords partageant entre eux le territoire de l’agonisant empire turc situé entre la mer Noire, la mer Caspienne, la mer Rouge, la mer Méditerranée et l’océan Indien. À noter que ces accords n’ont abouti qu’après cinq mois d’âpres négociations entre les deux puissances coloniales de l’époque (de novembre 1915 à mars 1916).
Ces accords furent rendus publics par le quotidien russe la Pravda le 26 novembre 1917.
C’était l’occasion rêvée de morceler le Proche Orient (morcellement qui durera jusqu’aux années mille neuf cent soixante-dix) et de profiter de ses richesses tout en créant de toutes pièces un certain nombre d’états dans la péninsule arabique comme les pays du Golfe, le Koweit, les Émirats arabes unis, le Qatar, le Bahrein, Oman, accordant à l’Arabie Saoudite, jusqu’alors un petit royaume éphémère, un large territoire notamment en amputant au Yémen une large partie de son territoire historique, c’est-à-dire le quart sud-ouest de l’actuel royaume wahhabite, puis en subdivisant la Grande Syrie historique en plusieurs états, notamment en accordant à la province autonome du Liban une large autonomie tout en agrandissant sa superficie, et en créant la Jordanie mais en accordant à la Palestine une configuration géographique plus ou moins fidèle à ses frontières historiques tout en lui rajoutant le désert du Néguev au Sud lui offrant de la sorte un large accès à la mer rouge.
Ainsi, le partage fut déterminé comme suit : le Liban et la Syrie ou ce qu’il en restait revenaient à la France, et à l’Angleterre les pays du Golfe, la Jordanie, la Palestine et l’Irak amputée du Koweit mais agrandi aux dépens de la Syrie qui a été son tour amputée de la province d’Antioche offerte à la Turquie par la France en 1939 en guise de compensation.
Ce morcellement ne s‘est pas fait sans douleur puisqu’il a été confronté au nationalisme arabe montant après quatre siècles d’occupation ottomane assez rude. 
Des intellectuels comme Antoun Saadé (pansyrianisme) ou Michel Aflak (panarabisme), tous deux des laïcs convaincus, ont inspiré des générations d’arabes jusqu’à nos jours et ont été le germe du panarabisme de Nasser ou du parti Baath. Ce panarabisme, qui prônait l’union du monde arabe en une seule nation du Golfe à l’Atlantique où le multi-confessionnalisme et le multi-culturalisme seraient une grande richesse, fut combattu par l’Occident héritier de l’empire ottoman via le fondamentalisme islamique des frères musulmans et du wahhabisme mais aussi en essayant de créer au Levant une multitude de petits états à caractère confessionnel facilitant ainsi leur mainmise sur la région en se jouant des divisions et en exacerbant les antagonismes religieux. De cette façon ils ont réussi à créer un état chrétien maronite au Liban, un état juif en Palestine mais n’ont pas réussi, jusqu’à maintenant, à créer un état kurde indépendant au nord de l’Irak de la Syrie.

3-3- le Traité de Sèvres

Tout d’abord il est absolument nécessaire de signaler que le Kurdistan n’a jamais existé. Il n’y a jamais eu une entité kurde indépendante avec des frontières bien déterminées, de même qu’il n’ y a jamais eu de nationalisme kurde comme tel. Par contre, il a eu à travers l’Histoire plusieurs zones géographiques plus ou moins vagues et éphémères appelées « Kurdistan » en fonction des regroupements aléatoires des kurdes dans telle ou telle province de tel ou tel empire au gré de leurs engagements dans telle ou telle armée.

L’évolution géo-politique du Proche et du Moyen Orient tout au long des derniers millénaires a abouti au début du vingtième siècle à leur regroupement dans trois régions distinctes : à l’est de l’Iran, au Nord de l’Irak et surtout au sud de la Turquie où la communauté kurde était de loin la plus nombreuse comparativement à celle de l’Iran ou l’Irak.

Un fait majeur a incité beaucoup de kurdes entre 1916 et 1920 à quitter la Turquie pour l’Irak et l’Iran mais aussi pour la Syrie et le Liban où ils font leur apparition pour la première fois comme communauté assez importante. Cet exode forcé est en lien direct avec le génocide arménien commis par les turcs en 1915.
Rappelons que les kurdes constituaient un gros contingent des forces armées turques et qu’ils ont été les principaux acteurs du génocide arménien décidé par le pouvoir turc pour en finir avec le nationalisme arménien qui représentait un danger pour ce qui restait de l’empire ottoman. Ainsi, le pouvoir turc a envoyé 12 000 soldats turcs et 40 000 soldats kurdes pour exécuter le massacre de 1 500 000 arméniens en quelques semaines.

C’est seulement suite à ce massacre que les kurdes évoquent pour la première fois la notion d’état autonome. Forts de leur participation active à éradiquer le danger arménien certains de leurs chefs ont eu l’ambition de s’émanciper de la tutelle turque et de former un état dans le sud-est de la Turquie actuelle d’où le conflit turco-kurde qui dure jusqu’à nos jours.
Pour faire face à cette nouvelle revendication de Kurdistan indépendant ou autonome le pouvoir turc a envoyé ses troupes pour massacrer les kurdes à leur tour faisant d’une pierre deux coups : faire disparaître l’arme du crime du génocide arménien et écarter définitivement le danger d’un nationalisme kurde naissant.

C’est en marge du traité de Sèvres qui a eu lieu le 10 août 1920 en complément des accords Sykes/Picot mais consacré au sort de l’Anatolie ( en gros la Turquie actuelle) que fut évoqué pour la première fois le terme « Kurdistan » et la question d’un état kurde indépendant dans le quart sud-est de la Turquie qui ne sera jamais ratifié suite à une farouche opposition des nationalistes turcs à leur tête Ataturk fraîchement victorieux de la Grèce, traité qui sera remplacé plus tard par celui de Lausanne en 1923 plus avantageux pour les turcs consacrant les frontières de l’actuelle Turquie et où la fondation d’un Kurdistan fut abandonnée jusqu’à la première guerre du Golfe en 1991 où elle est redevenue d’actualité.