L’architecture et l’art modernes nés après la révolution industrielle avec des mouvements d’avant-garde tels que le mouvement hollandais De Stijl ( Piet Mondrian, Théo Von Doesburg) ou allemand comme le groupe Bauhaus dont l’initiateur était Walter Gropius, en plus d’initiatives individuelles, en architecture, comme Frank Lloyd Wright aux USA, Mies Van Der Rohe en Hollande, Le Corbusier et Robert Mallet-Stevens en France, pour ne citer qu’eux, restent encore méconnus et dépréciés par le grand public où la nostalgie du passé reste omniprésente au point que le classisme et l’académisme gardent une cote particulière auprès de la plupart des sociétés contemporaines quel que soit le pays !
Ce que beaucoup de personnes ne comprennent pas est que l’art et la littérature sont les meilleurs témoignages d’une époque donnée et que reproduire ceux d’un d’époque antérieure reviendrait à copier sans consistance un témoignage du passé !
A titre d’exemple, si les constructeurs des pyramides d’Egypte ou des Ziggurats mésopotamiens ou encore ceux de Versailles ou de la cité interdite à Pékin appartenaient à notre époque, ils auraient opté pour une tout autre langage architectural et artistique usant des matériaux et techniques contemporains de même que pour la symbolique des formes et de la conception de manière générale.
Cela dit, toute œuvre contemporaine n’est pas forcément le reflet d’une belle architecture tout comme dans l’antiquité toute construction n’était pas chef-d’œuvre et lors des siècles suivant tout n’était pas admirable, tant s’en faut, par contre ce sont, tout comme les exemples « réussis », un témoignage de leurs époques ce qui est soi positif!
Ce que j’essaye de dire est que construire de nos jours une villa, un bâtiment public ou tout autre équipement, avec des frontons, des colonnes doriques, ioniques ou corinthiennes ou encore avec une ornementation pléthorique ou chargée est un non sens et une imposture car cette architecture là ne reflète en rien ce que nous sommes devenus et ce type de constructions paraît totalement incohérent et anachronique dans son environnement contemporain !
Il y a eu aussi aux siècles derniers des architectes avant-gardistes exceptionnellement brillants tels que : Andrea Palladio dans l’Italie de la fin du moyen âge, Boulée et Violet le Duc lors des siècles suivant sans oublié bien sûr l’œuvre aussi colossale que révolutionnaire de Léonard De Vinci. De même n’oublions pas que l’art gothique en soit était un art avant-gardiste par rapport à l’art Roman qui l’avait précédé etc.
Deux architectes emblématiques de l’entre-deux-guerres et après aussi ont marquées leur empreinte l’architecture moderne en France, le Corbusier et Mallet-Stevens, tous les deux ont conçu des villas magnifiques bien représentatives du vingtième siècle, pour certaines toujours d’actualité, je pense notamment à la villa Savoye à Poissy et la villa La Roche à Paris de Le Corbusier et les villas des frères Martel à Paris, Villa Noailles à Hyères et la villa Cavrois à Croix (agglomération lilloise), listes non exhaustives ne citant que mes villas «favorites».
Merci à Sandrine Deci pour ce reportage quasi complet sur la villa Cavrois.
Sandrine Deci:
L'architecte
Robert Mallet-Stevens débute sa carrière en 1907. Marqué par l'architecture de Josef Hoffman et de la Sécession viennoise, il se distingue dès ses études à l'Ecole spéciale d'architecture en défendant une vision moderne et rationnelle de l'architecture, qui refuse l'ornement. Cette villa possède une architecture dépouillée, esthétique apparut avant la Première Guerre mondiale en Autriche. Mallet-Stevens pense que l’architecture est en elle-même suffisamment présente et forte pour ne pas avoir besoin d’éléments décoratifs. Fonctionnelle et économique aussi, par exemple il pense à quoi sert un toit en double pente c’est de la place perdue, mieux vaut des toits-terrasses.
Le concept
C’est une « demeure pour une famille nombreuse, air, lumière, sports, hygiène, confort et économies ». A ces principes, Mallet-Stevens ajoute les technologies avancées de l’époque : chauffage central, ascenseur, ventilation, téléphone, T.S.F dans chaque pièce. La villa est organisée selon l’usage des espaces, les pièces de réception, d'usages fonctionnels, l’aile des parents, les espaces des enfants, de sports et de détente, les terrasses.
Un château du XXe siècle aux antipodes des maisons bourgeoises, une maison moderne en forme et volume et très classique dans son organisation spatiale, une œuvre d’art totale.
Quelques chiffres
60 m de long, 2800 m2 ou 4000 m2 de plancher en comptant le sous-sol, 1840 m2 habitables sur 3 niveaux et 830 m² de terrasses. Le miroir d’eau a 72 mètres de long, la piscine 27.
D'une superficie initiale de 32 000 m2 le parc est maintenant réduit à 17 600 m2. Ont ainsi disparu le verger, l'enclos des poules, le potager, les serres et les massifs des fleurs coupées.
Une pergola en béton de 32 poutrelles apporte l'ombre à la terrasse du dernier étage côté ouest, où s'épanouissent des bignones dans des jardinières rectangulaires recouvertes de briques jaunes !
L’histoire
Cette demeure fut commandée par Lucie et Paul Cavrois, industriel de Roubaix (filatures) à l’architecte Robert Mallet-Stevens pour loger leur famille de 7 enfants et le personnel. Elle est à Croix, près de Lille et Roubaix.
Un manifeste architectural
Construite de 1929 à 1932, Mallet-Stevens travaille à la fois sur l’architecture, le décor et le mobilier. Le soin apporté au choix des matériaux manifeste une liberté financière et un gout pour les beaux matériaux précieux et nobles et les nouveautés techniques de l’époque.
Les escaliers sont en marbre noir et blanc, les jardinières de l'entrée en marbre, les caches radiateur en aluminium, du marbre jaune de sienne posé autour de la cheminée du salon ouvrant sur le miroir d’eau du parc. Dans la salle à manger des parents, du marbre vert de Suède contraste avec les meubles sur mesure en poirier verni noirci.
Eclairage indirect, exemple dans la salle à manger des parents. Au plafond un système d'éclairage en trois parties dont l'intensité pouvait être modulée en fonction de la longueur de la table ; cache-radiateur en aluminium :
Des meubles en bois précieux sur mesure :
La radio (T.S.F.) avec des haut-parleurs intégrés dans chaque pièce, les ronds noirs dans les murs ; 6 mètres de hauteur sous plafond, c’est le grand salon majestueux, pièce de réception qui montre le luxe de cette maison aux invités. Deux vues, du coin cheminée et de la mezzanine :
La villa à briques jaunes dans la région des briques rouges !
L’ossature en béton et les doubles murs de briques rouges sont recouverts de briques de parement jaune, il y a 26 modèles différents, spécialement fabriquées pour la villa, complétées par des joints horizontaux peints en noir, les joints verticaux sont traités de manière à ne pas être visibles.
Des placards en aluminium brossé et l'escalier de la salle de jeu des enfants avec les marches en parquet de chêne et les contremarches en aluminium :
Le contraste entre la chambre monochrome des parents et le boudoir de Madame, fauteuils verts et moquette bleue :
La salle de bain de 50 m2, pèse-personne intégré dans le mur, douche monumentale à jet
Une pièce n’a pas été restaurée et témoigne des ravages subits à la fin de la guerre. La villa a été occupée par les troupes Allemandes entre 1940 et 1944. Habitée par la famille jusqu’en 1985 à la mort de Lucie, elle est vendue à une société immobilière. Elle est classée au titre des monuments historiques en 1990 mais elle n’est plus entretenue et des pilleurs la dégradent.
En 2001 l’Etat rachète la propriété, la restauration débute en 2003, restituant à l’identique la demeure, les décors, les meubles, les lumières, le parc et son dénivelé très subtil. Des photos de bonne qualité, le livre1 « une demeure 1934 », qu’il a publié à compte d’auteur suite à la construction de la Villa Cavrois, sera une la base solide et grâce au travail d’archéologue des architectes en charge de la rénovation, la restauration à l’identique a pu avoir lieu.
Une élégance certaine, un mobilier design et épuré, d’épaisses moquettes comme dans la salle de bain, des objets modernes, l'espace, toutes les pièces et les couloirs nous offrent un lieu habitable avec aisance, presque sans limite, on se promène dans sa maison. Dès lors, quand il y a des arrondis, l’aspect intimiste saute aux yeux : le coin cheminée du salon encadré de banquettes, le fumoir qui se trouve à la base du belvédère, ce qui explique la courbure du mur.
Les pièces d’apparat sont simples, sans ornements inutiles, conformes à l’esprit fonctionnaliste du style moderne. Le luxe réside dans l’utilisation de matériaux de qualité, rares et innovants.
Mes favoris
Les pièces peuvent être vues de différentes manières, de l’intérieur, de l’extérieur, du parc, les murs sont des fenêtres, des autres pièces, les portes grandes et ouvertes, de dessus via des « balcons » mezzanines, comme un théâtre sur la vie.
Des lignes que l’on suit des yeux, la sérénité, le calme en découle pour moi. Rien ne semble arrêter la vue.
Ce que j’ai préféré est descendre cet escalier de marbre, ses jeux graphiques, face aux baies vitrées ouvertes sur la nature, avec l’impression qu’il n’y a pas de limite ni d’obstacle. L’escalier est en marbre blanc et contremarches en marbre noir.
La deuxième pièce est le fumoir, décoré d’acajou de Cuba à l’origine, possédant un meuble-bar et un canapé en demi-cercle de cuir rouge, propice aux discussions avec des amis pour le propriétaire des lieux, petite pièce qui tranche avec l'immense maison et qui donne le côté intime pour des conversations à bâtons rompus ou des silences pendant la dégustation d’un alcool âgé en humant ses arômes, peut être soufflant des bouffées de cigares. Sculpture : le chat des frères Martel.
Les deux endroits ayant ma préférence sont dans le belvédère, au sommet duquel le capitaine d’industrie contemplait la campagne.
Vous avez vu l'espace, il vous reste à contempler les détails. Ils sont partout, les poignées, les lampes de type industriel, les charnières des meubles, les portes, les robinets, les pendules, les tables de chevets bleues, les sculptures animalières des Frères Martel... A vous de voir et décider ce que vous préférez, le choix est vaste, comme l'espace infini de la villa et du parc.
La villa fait partie depuis 2012 d’un programme mondial de préservation des maisons emblématiques de XXè siècle : Iconic Houses, je regarderai dorénavant avant mes voyages si je peux en admirer.
* si pas de références, ce sont des photos personnelles.
Références
1- MALLET-STEVENS, Robert. Une demeure 1934. Boulogne: Éd. de l'Architecture d'aujourd'hui, [1934]. Petit in-4 oblong (153 x 240 mm). 28 feuillets avec nombreuses illustrations, photographies et plans du bâtiment. Reliure à spirale, plat orné d'un plan de Mallet-Stevens.
Vue des extérieurs : https://www.youtube.com/watch?v=R8nG7Aj1TGY
Dossier complet http://villacavrois.blogspot.fr/
Centre de Monuments nationaux : http://www.villa-cavrois.fr
Lien d'inscription au site "l'occidentaliste":
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